AAPPQ
19/12/2017
Depuis plusieurs semaines, l'AAPPQ reçoit des membres des questions et préoccupations concernant les nouvelles politiques de prix et licences d'Autodesk, notamment sur les incitations à passer au système de location. L’Association a demandé à Richard Russell, consultant T.I. de la firme Aeridan Communications, qui travaille principalement pour des bureaux d’architectes, de faire un point sur la situation. Voici son analyse.
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Autodesk est reconnu comme le développeur de logiciels professionnels indispensables pour les architectes, incluant Autocad et Revit. S’il existe d'autres logiciels de dessins et de modélisation, l'omniprésence des produits Autodesk lui donne un quasi-monopole sur le marché nord-américain.
Autodesk ayant beaucoup investi dans le développement et les améliorations de leurs logiciels, ils ont cherché à stabiliser leurs revenus. Dans le passé, leurs ventes augmentaient suite au lancement d'une nouvelle version de "licence perpétuelle", et chutaient dès qu’une prochaine version était annoncée. La solution adoptée par Autodesk, comme d’autres grandes entreprises du secteur informatique (Adobe ou Microsoft par exemple) : passer d’un modèle d'affaires basé sur l’achat de licences et leurs mises à jour à un modèle qui s’appuie sur la location.
Locations VS achat avec mises à jour
Dans le modèle de location, les utilisateurs paient un montant mensuel ou annuel. En cas de défaut de paiement, le logiciel se désactive automatiquement. L'ancien modèle d'achat et mises à jour, appelé "plan d'entretien" par Autodesk, assigne une licence permanente au client. L'achat des mises à jour facultatives permet ensuite au client d'exploiter les futures versions du logiciel. En cas de défaut de paiement, ce droit de mise à niveau disparaît. Toutefois, l'utilisateur maintient la licence pour la dernière version payée, et ceci à perpétuité.
Depuis déjà une décennie, Autodesk a une approche commerciale plus agressive. En 2005, la compagnie a commencé à imposer l'achat de mises à jour au minimum tous les trois ans, puis a ensuite exigé une mise à jour chaque année, sinon les droits de mises à jour futures étaient perdus. En 2016, l'arrêt des ventes des licences perpétuelles a été annoncé; la seule option restante pour les nouvelles licences étant dorénavant la location. Depuis 2017, Autodesk s’efforce de convaincre les détenteurs de licences perpétuelles à les convertir en licences locatives.
Conséquences des incitations à passer à la location
Pour atteindre ses objectifs, Autodesk a augmenté le prix des mises à jour de 39 %, réparti sur trois ans. Simultanément, elle a réduit le prix des logiciels en location par des rabais disponibles pour toutes les entreprises prêtes à convertir leurs licences perpétuelles en licences locatives. Afin d'améliorer l'offre, les progiciels locatifs incluent plusieurs logiciels non disponibles avec les anciennes séries perpétuelles "Design Suites". Ce changement de politique créé une confusion et suscite des interrogations. Est-il avantageux de convertir toutes ses licences en location ? Est-il préférable de conserver l'abonnement du plan d'entretien? Quelles sont les conséquences de refuser le renouvellement des licences perpétuelles ?
Selon Mario Papadopoli, président de PROCAD CONSULTANTS, revendeur d'Autocad à Montréal, ce changement au modèle a été une surprise. Au début, ils ont eu de la difficulté à comprendre le raisonnement lié à cette décision. M. Papadopoli souligne d’ailleurs que PROCAD subit actuellement les conséquences financières de cette politique, puisqu’un nombre significatif de leurs clients actifs ont décidé simplement de ne pas renouveler leurs licences. Il pense que cette réaction n'a pas été anticipée adéquatement par Autodesk, et que la firme mère en souffre aussi. Pour lui, les derniers chiffres publiés par Autodesk, annonçant notamment le licenciement de 1000 employés, est aussi une conséquence de cette stratégie (réf. article du 29 novembre dans Fortune Magazine).
Néanmoins, M. Papadopoli est d'avis que si la décision de ne pas renouveler des plans d'entretien peut sembler a priori une décision financière avantageuse, c’est une vision à court terme. « Le Québec, dit-il, a une communauté de designers et d’architectes de qualité hors pair, ayant le potentiel de réputation mondiale. Mais à l’heure où il est important d’investir dans les logiciels BIM pour rester compétitif, il est très risqué de ne pas renouveler les plans d’entretien. Les logiciels évoluent très vite et les firmes peuvent rapidement être dépassées techniquement. Elles devront payer plus cher dans quelques années pour rattraper leur retard et se mettre à niveau, quand tous les donneurs d'ouvrage exigeront des logiciels BIM pour leurs projets ».
Quels choix pour les bureaux ?
Les firmes d'architectes ont aujourd’hui le choix entre trois possibilités: conversion en location, maintien du statu quo (renouvellement du plan d'entretien) ou abandon des licences. Chaque scénario comporte des avantages et inconvénients, énumérés ci-dessous.
Conversion en location
Ce choix représente l'option promue par Autodesk.
Avantages :
- Le prix sera figé pendant trois ans, simplifiant la planification.
- Prix escompté pour 2017, 2018 et 2019.
- La série comprend des logiciels supplémentaires, FormIT, Navisworks Manage et Vehicle Tracking.
Inconvénients :
- Dans le cas d'un défaut de paiement, le logiciel se désactive automatiquement.
- Après 2019, le prix peut augmenter arbitrairement, selon la volonté d'Autodesk.
Étude de cas : La firme Alpha a converti ses 4 licences en location, pour profiter des coûts réduits annuels. En effet, un de ses principaux clients exige qu'elle travaille toujours avec la version la plus à jour de Revit, et elle utilise Navisworks Manage fréquemment.
Maintien du statu quo (renouvellement du plan d'entretien)
Ce choix correspond à la situation actuelle pour la plupart des bureaux, en vigueur depuis plus d'une décennie. Chaque année, un prix fixe est payé, donnant accès aux dernières versions de l'année en cours.
Avantages :
- Accès aux 3 dernières versions des logiciels inclus dans la licence perpétuelle.
- En cas de défaut de paiement, le logiciel continuera à fonctionner normalement et indéfiniment.
Inconvénients :
- Le prix de ces mises à jour augmentera de 5 % en 2017, 10 % en 2018 et 20 % en 2019.
- Les licences perpétuelles pourraient être retirées du marché dans le futur, même si Autodesk n'a fait aucune annonce à cet égard.
Étude de cas : La firme Beta a choisi de continuer avec l'entretien de ses 10 licences, car elle n'a pas eu le temps d'analyser les options proposées. Malgré l'augmentation des prix, elle a choisi le statu quo.
Abandon des licences
Avec ce choix, les utilisateurs gardent les droits d'utiliser Autocad et Revit 2018 indéfiniment mais n’ont plus accès aux mises à jour.
Avantages :
- Aucune dépense pour l'année 2018, ni pour les années suivantes.
- Maintien des licences à perpétuité, ou jusqu'à un changement de technologie rendant les logiciels obsolètes.
- Autocad étant un logiciel mature, ses mises à jour n'apportent que peu d'amélioration sur les versions précédentes. Conserver la version 2018 apporte moins de risque.
Inconvénients :
- Revit (contrairement à Autocad) est un produit en développement continuel. Les utilisateurs ne profiteront pas des avantages offerts par les nouvelles versions.
- Le format de fichiers Revit change à chaque année. Si un projet est entamé en Revit 2019, il ne serait pas possible d'accéder à la maquette avec Revit 2018.
Étude de cas : La firme Gamma choisit de ne plus payer pour ses 30 abonnements d'entretien. Elle a couramment des projets en Revit 2015 et 2016 seulement. Alors qu'elle n'anticipe pas de nouveaux projets en Revit 2019, elle a décidé de profiter des économies substantielles associées à cette décision. Advenant les besoins futurs, un certain nombre de licences seront louées, le cas échéant. Elle a de plus jugé que Revit 2018 était un produit assez mature, estimant que la mise à jour 2019 n'apporterait pas d'avantages substantiels compte tenu des coûts associés. Gamma estime que c'est sa responsabilité d’imposer la version du logiciel utilisée dans les projets, soit Revit 2018, pour les prochaines années. Pour les employés utilisant Autocad seulement, ils n'auront pas besoin de mises à jour avant longtemps.
Une occasion d’analyser plus précisément ses besoins
Selon M. Papodopoli de PROCAD CONSULTANTS, il est important de faire le saut vers les abonnements locatifs. Et ce changement d’approche d’Aurtodesk est une occasion de faire le point sur les besoins réels de la firme. « Avec l'accès à la base de données disponible aux revendeurs, dit-il, on découvre chez certains clients un surplus de logiciels perpétuels en leur possession par rapport à leurs besoins. Avec une analyse approfondie, il est possible d’optimiser le rendement. Par exemple, pour un client qui maintient actuellement une licence complète pour chaque employé, PROCAD pourrait les aider à identifier quels employés seraient mieux servi par des versions LT, ou même des visionneurs gratuits. Certains chargés de projets, à titre d'exemple, ne dessinent ou ne modélisent pas, mais veulent quand même avoir accès aux fichiers pour consultation seulement. Ils pourraient faire leurs suivis et contrôles avec le visionneur (viewer) gratuit. D'autres firmes profiteraient plutôt du partage de logiciels permis par un serveur de licence et des versions réseau des logiciels ».
Il ajoute que des licences en location peuvent être mieux anticipées dans les budgets des projets. « Prenez une licence pour la durée du projet, et laissez la tomber une fois le projet terminé. Ça devient une dépense du projet et non un coût fixe pour le bureau ».
Tendances de l’industrie et choix d’affaires
Si Autodesk suit la tendance des géants mondiaux informatiques, comme Microsoft, elle devrait ralentir la fréquence des nouvelles versions. Au lieu d'un lancement annuel, Autodesk lancerait par exemple une nouvelle version tous les trois ans. Avec davantage de temps pour planifier, programmer, tester et corriger ses logiciels, cela pourrait avoir un effet positif sur la qualité et la stabilité des produits. Si les mises à jour sont moins fréquentes, les clients en entretien annuel pourraient se questionner sur la valeur de leurs abonnements.
Par ailleurs, avec la croissance du nombre de projets en consortium, PCI et/ou BIM, le travail en équipe dans des emplacements distants favorise les outils de collaboration « nuage ». La feuille de route de développement futur chez Autodesk est très axée sur ces types d'outils. Pour profiter pleinement de leur fonctionnalités et compatibilité, il semble nécessaire d’embrasser la nouvelle technologie, et donc les nouvelles versions des logiciels.
Il n’y a pas de scénario idéal : à chaque firme correspond une décision, qui reste un choix d’affaires. Il est certain que cette approche d’Autodesk doit inciter les bureaux à analyser leurs besoins en fonction de leur taille, du type de projets qu’ils réalisent, de leur situation financière et de leur plan de développement.
Richard Russel, B. Arch
Consultant T.I.
Aeridan Communications